les cahiers de doléances

Cahier du Temple

1789, 5 avril. – Le Temple
Cahier des doléances du général de la trève du Temple
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[en marge à gauche : « Temple en Carantoir »]
Cahier des charges, plaintes et doléances  du général de la paroisse du Temple de Carantoir,
diocèse de Vannes en Bretagne, dressé et rédigé en l’assemblée des habitans de la dite paroisse,
tenue au lieu ordinaire des délibérations devant monsieur le sénéchal de la commandrie du dit Temple le cinq avril mil sept cent quatre-vingt-neuf pour être remis à messieurs les députés qui vont être choisis pour le porter, présenter et en faire le dépôt à l’assemblée générale de la sénéchaussée roiale de Ploërmel, assignée en la dite ville de Ploërmel devant monsieur le sénéchal, ou son lieutenant en cas d’absence, aux huit heures du matin du mardi sept de ce mois. 

 

  Primo les habitans de la paroisse du Temple de Carantoir désirent que messieurs les députés du Tiers-État aux États  généraux soient chargés de demander que la représentation du Tiers États, tant aux États généraux que provinciaux, continue à l’avenir d’être sur le pied annoncées pour les État généraux prochains, c’est-à-dire que le nombre des représentans du Tiers-État soit égal au nombre des représentans des deux premiers ordres réunis et que les suffrages soient comptés par têtes et non par ordre ;

  2. de demander une répartition égale de tous les impôts sans exception entre tous les ordres, chacun à proportion de ses facultés ; que cette répartition faite par paroisses, eu égard à l’étendue, à la population et à la situation de chacune, le général de chaque paroisse soit autorisé à faire luimême, en présence des juges des lieux, et gratuitement, la répartition sur les contribuables des sommes auxquelles la paroisse sera imposée, chaque général étant plus à lieu de faire justement cette répartition // que des étrangers envoiés par la commission qui n’ont aucun intérêt à la chose, qui notoirement prennent des notes à la hâte et ne se donnent souvent pas la peine d’écouter les raisons du petit nombre d’égailleurs nommés par le général, d’où il résulte l’inégalité la plus choquante dans les répartitions ; observent les habitans du Temple que la méthode proposée aurait l’avantage de décharger la province des appointemens souvent peu mérités des émissaires de la commission ;

  3. que la corvée des grands chemins en nature, si ruineuse pour les habitans des campagnes, si fatale à l’agriculture, soit convertie en une imposition pécuniaire à répartir également sur les trois ordres ; observe le général du Temple qu’il ressent d’autant plus vivement l’incommodité de cette corvée en nature que la paroisse est éloignée de trois lieues du chemin à l’entretien duquel elle est assujetie, sans que ce grand chemin lui procure aucun avantage ;

1 Le document est paginé de 1 à 12, avec pagination et paraphe « Garel » dans la marge haute de chaque page et un paraphe « Garel » dans la marge basse de chaque page.


  4. de demander l’abolition entière des francs-fiefs payés par le Tiers-État seul, imposition si humiliante et devenue si gênante par la perception presque arbitraire des commis que les propriétaires roturiers de bien nobles ou ennoblis sont réduits à ne pouvoir vendre ces héritages qu’à vil prix et se dispensent de bâtir sur ces fonds ou de les améliorer parce qu’on les force de paier les bonifications. Il serait aussi bien à désirer que le droit de centième denier des successions collatérales fut également proscrit. Ce droit est singulièrement onéreux pour les habitans des campagnes qui, ne sachant ni lire ni écrire pour la pluspart, sont forcés de faire faire des estimations des droits dépendans de ces successions, estimations presque toujours plus coûteuses que le droit lui-même ;

  5. d’insister sur l’abolissement du tirage des milices, qui enlève forcément à l’agriculture les bras les plus vigoureux et en évènement, que les milices seraient conservées en Bretagne, que les domestiques des gentilshommes, et surtout leurs gens de livrée, y soient assujetis sans exception.
La raison et l’expérience démontrent que cette espèce d’hommes est une surcharge de la société, que cette classe n’a jamais produit que des oiseux, des insolens et des fainéans. L’expérience démontre encore que la présence des gentilshommes au tirage des milices devrait être absolument interdite. Ils n’y ont d’autre interêt que de faire commettre des injustices en faveur de leurs protégés ;

  6. que toutes pensions et établissemens faits et accordés par les états de Bretagne en faveur des prétendus pauvres gentilshommes soient et demeurent à la seule charge de la noblesse. Il est notoire que, fort souvent, les élèves ne sortent de ces établissemens que pour se répandre dans les campagnes où ils osent mépriser et même maltraiter le païsan dont les secours ont contribué à leur nouriture, leur entretien et leur éducation où, armés de fusils et suivis de leurs chiens, ils ravagent sans ménagement les moissons ;

    7. que l’eau de vie que, par un abus révoltant, on fait paier quarante-cinq à cinquante sols la bouteille aux pauvres laboureurs et artisans, leur soit donnée au même prix qu’aux citoiens indûment privilégiés ;

  8. qu’au cas qu’il ne soit pas établi un nouvel ordre bien désirable dans l’administration de la justice en Bretagne, il soit au moins statué que les appels de toutes les jurisdictions seigneuriales ressortiront nûment à l’avenir aux sièges roiaux, moien assuré de diminuer les frais de procédure.

  9. que les suites criminelles, qui jusqu’ici ont été à la charge des seigneurs, sans répétition que sur les biens des criminels soit paiées sur le trésor public, sur le défaut des seigneurs de paier exactement les frais de ces procédures, sauf aux administrateurs des deniers publics à se faire rembourser sur le domaine des seigneurs. Par un abus commun et presque général dans la province, les seigneurs n’accordent de mandemens à leurs procureurs fiscaux qu’à la charge de faire les suites criminelles à leurs propres frais. Cette injustice produit dans les procureurs fiscaux de la répugnance à suivre ces affaires. D’ailleurs, l’amovibilité de leurs charges, qui les tient dans un asservissement continuel, les empêche de prendre des exécutoires contre les domaines des seigneuries, non seulement pour leurs frais et vacations mais aussi pour les vacations des autres officiers, de manière que, personne n’étant paié, les affaires criminelles ne sont point poursuivies, les crimes restent impunis et il n’est aucune sûreté dans les campagnes ;

  10. que les vassaux des seigneurs de fiefs soient autorisés à franchir aux taux de la coutume de s rentes féodales par deniers, grains, etc. Les habitans des campagnes supportent chaque année des frais sans nombre en paiement de ces rentes. Il n’est pas rare qu’un particulier paie dix livres de frais pour quelques sols qu’il peut devoir dans une tenue. Il est certain que la faculté de franchir diminuerait dans les campagnes les trois-quarts des procédures et enlèverait à la rapacité fiscale cinquante moiens d’inquiéter les vassaux ;

  11. les seigneurs de fiefs opulens affectent en grand nombre de ne pas faire pourvoir leurs rolles chaque année ; il en est qui ne les font pourvoir qu’au bout de vingt et trente ans, c’est-à-dire à la veille de la prescription de cette négligence affectée. Il résulte que les vassaux se trouvent ruinés et qu’il est impossible après un aussi long laps de tems, de démêler au juste // ce que chaque vassal peut devoir, eu égard aux mutations arrivées dans les familles et les propriétés. Il serait donc bien désirable qu’il fut défendu aux seigneurs de fiefs de laisser arrérager leurs rolles pendant plus de trois ans, sous peine de n’en pouvoir prétendre le service et paiement pour les années antérieures où ils n’auraient pas été pourvus. Cette prescription paraît d’autant plus juste que les receveurs des derniers roiaux y sont eux-mêmes soumis ;

  12. d’insister sur ce que les vassaux soient déchargés des corvées qu’on exige d’eux, toujours à titre gratuit, pour le rétablissement des maisons des seigneurs, qui ne leur sont aujourd’hui d’aucune utilité, et surtout des corvées pour les moulins, pour lesquelles ils ne sont ni paiés ni nouris, corvées au surplus que l’on ne peut exiger suivant aucune loi mais seulement en vertu d’une jurisprudence nouvelle, établie au détriment des vassaux par des juges propriétaires de fiefs ; 

  13. que les lods et ventes pour les contrats d’échange soient supprimés, sauf au Tiers-État à rembourser à la noblesse ce qu’elle justifierait avoir paié pour l’acquisition ou la cession à son profit de ce droit très onéreux pour les campagnes en ce qu’il met des obstacles à ce que chaque citoien puisse, par la voie des échanges, arrondir et améliorer ses petites propriétés ;

  14. qu’il soit permis à chaque citoien d’avoir chez lui un fusil taut pour sa sureté que pour la conservation de ses moissons, journellement ravagées par le gibier et surtout par les pigeons, excessivement multipliés dans les campagnes ;

  15. le général du Temple de Carantoir déclare adhérer aux sages réclamations de toutes les municipalités et communes de la province, s’en référant au surplus, pour ce qui peut être omis au présent, aux autres instructions plus étendues qui seront remises du Tiers-États aux États généraux.

Fait et arrêté en la dite assemblée des habitans domiciliés et propriétaires de fonds de la dite paroisse du Temple de Carantoir, sous les seings de ceux qui savent signer et ceux de monsieur le sénéchal de la commandrie du Temple, présidant à la dite assemblée, et du greffier ordinaire, son adjoint.
[Signé :]
Robert. Leblanc. Auvray Jarnier, avocat et sénéchal de Renac Bouchet. Alexis Malivet Joseph Praud Hervé. Pierre Orhand. Louis Collet Thomas Renaud Pierre Maubec. M. Nouvel François Ricad2 . Jean Levn Mathurin Orhand Pierre Guillotin Jan Coiraut Jan Coué. Artur Radin Joseph Texier Garel, sénéchal. Bouchet, greffier.

 

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