Une vie d'agriculteur

   A 95 ans, Marcel est l’un des derniers témoins de l’histoire du siècle dernier. Né en 1928, il a vécu tous les grands évènements des années 30 à nos jours. Ancien agriculteur, il a vécu l’évolution de notre agriculture. Avec lucidité et une mémoire toujours intacte, Il a bien voulu retracer son parcours et nous donner son ressenti  sur les changements intervenus.

Enfance et jeunesse

   Je suis fils d’agriculteur. J’ai passé toute mon enfance et ma jeunesse à la ferme entouré de mes parents et de mes frères et soeurs. J’aurais bien  aimé faire des études mais j’étais l’aîné. Alors,  après mon certificat d’études passé avec succès,  j’ai du rester à la maison pour aider mes parents. Ceux-ci exploitaient une ferme d’une quinzaine d’hectares et  élevaient des vaches et quelques cochons. Ils pratiquaient la polyculture : céréales, plantes fourragères, foin.  

 

   De 1941 à 1947, j’ai participé à la vie de la ferme. Le travail était très physique mais heureusement à cette époque, il y avait beaucoup d’entraide surtout pour les plantations, les foins, les battages.  Comme dans la plupart des fermes nous n’étions pas très mécanisés et la majeure partie des travaux était effectuée manuellement. Nous avions des boeufs et un cheval pour tirer d’abord la charrue et plus tard le brabant. Malgré la fatigue, tout se déroulait  dans la bonne humeur et j’en garde un très bon souvenir.

 

Premières expériences

 

   Après mon service militaire, Je suis allé travailler dans un lycée à Paris. J’ai très vite déchanté et j’ai vite recherché un autre emploi. Grâce à un cousin, je me suis retrouvé dans une grande ferme de plus de 700 ha à Aulnay aux Planches dans la Marne. Là, j’ai découvert un autre monde. Tout était moderne et très mécanisé. La ferme possédait plusieurs tracteurs, des camions, un bulldozer. J’ai été embauché comme chauffeur de tracteur. On y pratiquait la culture intensive de céréales, de betteraves et de luzerne. Pour la bonne marche de la ferme le personnel était nombreux, jusqu’à 12 personnes. Durant mon passage dans cette ferme, les patrons m’ont emmené avec eux pour un voyage d’études en Hollande. Ce séjour m’a vraiment marqué car j’ai découvert des fermes ultra modernes pour l’époque avec une façon de travailler tout à fait novatrice pour moi. Ces découvertes me serviront beaucoup par la suite.

 

   Passionné de sports mécaniques, j’avais acheté une moto BM. Les 450 km pour revenir en moto à la maison ne me faisait pas peur. J’étais assez intrépide à l’image de mes idoles de l’époque, Hazianis et Ledormeur, les champions de moto-cross du moment.

 

   Ma vie d’agriculteur

  En 1954, je suis revenu définitivement en Bretagne et je me suis marié. Nous nous sommes installés dans la ferme de mes beaux parents. Nous y sommes restés jusqu’en 1963. Durant toutes ces années j’ai pratiqué une agriculture tout à fait traditionnelle mais dès 1955 j’ai acheté mon premier tracteur, un David Brown.

  Je rêvais de trouver une ferme à ma convenance.  Après plusieurs visites, nous nous sommes installés dans une ferme de 18 ha. Malheureusement elle était très morcelée et les 57 parcelles contenaient 384 pommiers. Mon premier travail a été d’en déraciner le plus possible. Heureusement, à cette époque le gouvernement donnait des subventions pour le faire. Cela m’a été bien utile pour me moderniser et construire mon étable. J’ai très vite remembré mes terres et j’ai réussi à les rassembler. Ensuite je me suis agrandi pour arriver à 38 ha avec les terres de location.

 

 Evolution et modernisation

   J’avais envie d’aller de l’avant, et je n’ai pas hésiter à faire des emprunts. D’abord pour construire la maison d’habitation puis pour acheter ma première voiture, une 4 CV.

  Toujours à la recherche de modernité, j’ai entrepris la construction de mon étable. Celle-ci pouvait loger une trentaine de laitières. Ce n’était pas une stabulation mais un système de stalles. Grâce à une technique que j’avais vu au Pays-Bas, les bêtes étaient munies d’un collier « américain ». On pouvait en attacher plusieurs en même temps. Ce procédé a suscité la curiosité d’un certain nombre d’agriculteurs. De plus le fumier était envoyé directement dans une fosse grâce à un évacuateur mécanique. Ensuite il était broyé avec le purin.

    Pour la traite des vaches, je n’avais pas une salle de traite ultra moderne mais j’avais un transfert, ce qui était appréciable. Pour nourrir mes bêtes, j’ai continué à faire du foin, planter des choux et des betteraves mais très vite j’ai pratiqué l’ensilage d’herbe et de maïs. Pour compléter mes revenus, j’ai fait construire un élevage de veaux.

   A cette époque, les cours étaient réguliers et nous permettaient de vivre correctement de notre travail. Le système de quotas laitiers et les aides de la PAC nous ont bien favorisés.

  L’agriculture a vite évolué. Le matériel s’est modernisé. Des agriculteurs se sont mis en CUMA mais moi, j’ai préféré faire autrement. J’ai travaillé avec les coopératives et me suis fait aidé par un technicien agricole pour améliorer les rendements. Cela m’a bien aidé mais malheureusement, ces coopératives nous incitaient à utiliser engrais, désherbants et pesticides à volonté  et on les croyait. On n’en  mesurait pas les conséquences sur la nature.

   Finalement, même si je ne suis pas très nostalgique, j’ai eu la chance de voir le monde agricole évoluer, parfois un peu trop vite. J’ai eu beaucoup de réussites mais aussi quelques échecs. Si c’était à refaire, je pense que je travaillerais autrement. J’utiliserais certainement moins d’engrais et de pesticides et peut-être même que je me serais converti à l’agriculture bio.