l'heure du lait

ce n'est pas la madeleine de proust....

   Il fut un temps où, à la campagne, on n’allait pas chez le crémier ou chez l’épicier pour acheter le lait. Il suffisait d’aller à la ferme toute proche et d’avoir le lait directement du producteur. C’était un autre temps. 

   Découvrez les souvenirs d’une carentorienne qui se rappelle ces moments de son enfance.

...mais c'est l'heure du lait chez letournel

   Ce soir-là, je descendis la rue de Bourrienne. Nous étions le 8 novembre. L’air était particulièrement doux. Lorsque j’arrivai à hauteur de ma maison natale, parvint à moi cette odeur de feu de bois, de cheminée qui fume. En un instant, mon enfance était là et un flot de souvenirs revint à ma mémoire !

   Quelques vingt cinq ans plus tôt, j’arpentais comme ce soir-là, cette rue car c’était « l’heure du lait ». L’hiver j’y croisais de rares personnes ! De son pas lent, Madame Couéraud la sacristine, revenait de l’église où elle avait comme chaque soir, sonné l’Angélus.

  La ferme des Letournel là-haut, était éclairée. Je prenais la rampe bordée de troènes pour y arriver. Les gens du centre bourg y accédaient par la seconde entrée, face au cellier. Lorsque la traite n’était pas achevée, nous les enfants « commissionnaires », attendions sagement, assis sur les grands bancs de bois cirés qui bordaient la longue table.

   Alexandre, le fermier de retour des champs, se chauffait sous le manteau de la grande cheminée. Lorsqu’il avait plu, il se couvrait le dos d’un sac de jute. Parfois, pour nous faire patienter, il entonnait de vieilles chansons que je connaissais déjà pour les avoir entendues lors des mémorables veillées du nouvel an.

   La grande pièce de cette ferme respirait l’ordre ! Au centre, sur un buffet de bois clair, trônaient de récentes photos de mariage et autres portraits de famille. Sur un bahut, un imposant poste de TSF avait sa place près de la porte d’entrée. Sur ce même meuble, dans un joli vase de cuivre rouge, des herbes sèches cueillies dans les champs de blé et qu’on appelait (à tort ou à raison ) de la « tremble » amenaient un peu de douceur à ce décor rustique.

   L’éclairage y était faible mais laissait voir à droite de la cheminée, deux jolis petits tableaux. La fumée les avaient noircis mais on y distinguait encore, sur chacun d’eux, des voiliers dans la tempête. Ce devait être un héritage de cette parente célibataire qui avait été gouvernante à Paris ! 

  Après un moment d’attente en compagnie d’Alexandre, Yolande, la fille de la maison arrivait alors, chargée de ses deux seaux de lait fumant. De façon presque rituelle, elle venait les poser près de l’écrémeuse puis se lavait les mains au dessus de la dalle de pierre bleue. Se rapprochant ensuite du bahut tout proche, s’essuyait les mains sur le grand torchon de toile en grimaçant un peu !

   Elle pouvait alors servir les jeunes clients qui s’étaient rapprochés de la petite table où attendaient pots et bouteilles. Par précaution, certaines mères de famille, déposaient les contenants dans la journée afin qu’en cas de retard à monter à la ferme, Yolande veillerait à satisfaire sa clientèle !

   Bouteille ou pot au lait en main, nous déposions nos pièces jaunes sur la grande table et lancions les uns après les autres, un grand et chantonnant bonsoir !