La lessive avant l'arrivée de l'eau courante

LA LESSIVE  AVANT L’ARRIVÉE DE L’EAU COURANTE

 

Dès le lundi, nos lavandières allaient au pont…

(Selon l’expression carentorienne) !

   Le fils d’une lavandière, se souvient que sa très chère mère, fut fidèle de longues années à notre lavoir du pont de l’Hôtellerie. Et d’évoquer avec grande émotion, ce gagne-pain pénible chaque semaine, en toutes saisons, sous tous les temps pour y blanchir le linge de ses nombreux clients, pour la plupart, commerçants du bourg.

  Elles n’étaient pas très nombreuses nos lavandières ! Il y avait des dames de l’Hôtellerie, Marthe, Marie-Louise, Marie, Armandine, une autre Marie de la Madeleine puis Aurélie du Pressoir, Antoinette de la rue Gratinière et Angèle du bas de Bourrienne.

  Les matins de lessive, les maris ou les fils quand ils étaient en âge, étaient mis à contribution pour acheminer la brouette et son lourd chargement, du domicile jusqu’à l’Hôtellerie. Lorsqu’on habitait Bourrienne, la route était longue pour arriver jusqu’au bas du bourg ! Quand malheureusement, chez certaines d’entre elles, il n’y avait plus d’hommes à la maison, les clients eux-mêmes assuraient l’acheminement sur place, du ballot de linge et de tout le nécessaire pour la journée ! Les plus éloignées du lavoir, remisaient leur matériel encombrant chez des riverains de l’Hôtellerie pour alléger la « brouettée » !

   Les lessives hebdomadaires confiées à nos lavandières, se déroulaient généralement sur les 3 premiers jours de la semaine. Chacune y avait sa place attitrée, selon qu’elle demeurait côté bourg ou côté Hôtellerie, Belle-Pile et la Madeleine ! Les ménagères qui assuraient elles-mêmes l’entretien de leur linge, savaient que durant ces 3 jours, il fallait éviter de prendre place autour du lavoir, au risque de se faire houspiller par la lavandière en chef !

  Cette dernière, la plus aguerrie de nos bonnes dames, se chargeait de la manipulation des vannes afin d’assurer la propreté du lavoir et un niveau d’eau suffisant avant de se mettre à l’ouvrage.

 

La laborieuse journée commençait par le tri du linge !

  – D’un côté, « le linge de maison » qu’il fallait rendre, bien blanc et lavé de toutes tâches, après un décrassage à la main et rinçage puis des heures dans l’eau bouillonnante d’une lessiveuse, dernier coup de brosse et enfin d’un dernier rinçage à l’eau claire !

   – De l’autre « le linge de couleur », celui qui ne passerait qu’entre les mains expertes de la  lavandière, sans avoir à transiter par la lessiveuse.

(Dans le jargon du lavoir de Carentoir, paraît-il, on l’appelait « linge noir » ! Aujourd’hui on parle plutôt de « couleurs » !)

Trempage du « linge de couleur »

   En début de journée, ces couleurs, « étaient mises à tremper » dans une eau froide pendant plusieurs heures dans le but « d’attendrir » le linge et de faciliter son brossage ultérieur.

 

Préparation du « linge blanc » avant l’étape « lessiveuse »

   On s’employait ensuite au décrassage du linge de maison et aussi à celui, certes plus ingrat, des bouchers et charcutiers !

   Agenouillées dans leurs inconfortables caisses de bois, nos lavandières répétaient inlassablement avec des gestes précis, le prélavage de chaque pièce de linge. Cubes de savon, brosses de chiendent et battoirs de bois allaient bon train ! Les draps de métis ou de lin, tellement plus épais que nos parures de lit d’aujourd’hui, n’étaient pas les plus aisés à manier ! Ce brossage terminé, toutes les pièces de linge étaient rincées à l’eau claire !

 

Préparation du feu de bois et remplissage de la lessiveuse

   Venait ensuite la préparation du feu de bois !  Après le bon départ du brasier, on y installait le trépied sur lequel reposerait la lessiveuse remplie d’eau additionnée des produits de lavage.

 (Produits qui s’améliorèrent au fil des années mais la guerre 39-45 obligea à un retour à des méthodes très artisanales, d’une autre époque. Dans notre contrée, la résine de pin se substitua un temps, aux cristaux de soude et à la lessive Lacroix ! ).

   Au milieu de la matinée, en attendant que l’eau soit à bonne température, tout en surveillant le feu, nos lavandières s’octroyaient une pause réconfortante.

 « Bon ! Ce n’est pas le tout ! » comme disait Angèle autrefois, revenons à notre linge !

   Plongé dans cette eau maintenue très chaude durant plusieurs heures, il était soumis à un arrosage permanent par l’eau montant du tube central de la lessiveuse et déversée via son champignon à petits trous.

   Selon la quantité de linge blanc à traiter dans la journée, plusieurs autres lessiveuses pouvaient ainsi s’aligner à l’arrière du lavoir, en cours de matinée, pour un même client du bourg.

 

Linge bouilli, stérilisé, place au rinçage

   Quand nos lavandières jugeaient que leur linge avait suffisamment bouilli, restait à le sortir encore brûlant de cette eau plus très claire. Un bâton de bois dur, était le plus souvent utilisé pour le hisser avec précaution hors de la lessiveuse et le déposer au bord du lavoir.

   Quelques coups de brosse et de battoir venaient à bout de tâches rebelles qui avaient résisté à l’eau chaude et libéraient le linge de l’eau de lessive.

(Ce qu’on appelait dans notre parler local « le lessis »).

   Restait alors à rincer soigneusement, en effectuant quelques va-et-vient de chaque pièce dans l’eau claire. Le battoir faisait office d’essoreuse. Pour les grosses pièces telles que les draps, les lavandières s’entraidaient pour les essorer à deux par des torsions énergiques de part et d’autre.

 

 

 

  La touche finale et sa « boule de bleu »

   Dans un bac d’eau claire, une petite boule « bleu outre-mer », enfermée dans un petit linge, diffusait sa belle couleur azurée. Quand on jugeait la coloration de l’eau suffisante, on en ôtait la boule. C’est alors que l’on plongeait le « linge de maison » propre dans ce bac d’eau devenue bleue, en le remuant afin que les fibres du linge s’en imprègnent. Cette immersion faisait effet sur le linge en renforçant sa blancheur. 

 

La pause-déjeuner

   Certaines lavandières prenaient leur repas de midi chez leurs clients, d’autres le prenaient sur place tout en surveillant les dernières lessiveuses sur le feu. Comme en cours de matinée, une courte pause se faisait  également dans l’après-midi. 

 

L’après-midi et son « linge de couleur »

   C’était la règle chez toutes les lavandières, le « linge de couleur » après le trempage du début de matinée, se traitait l’après-midi !

   Dans cette catégorie, il se trouvait des vêtements variés, à laver sans peine mais aussi des vêtements de travail lourds à manipuler et tellement plus pénibles à décrasser !

   On usait encore avec ardeur, du cube de savon de la brosse et du battoir pour y parvenir.

 

 La journée s’achève…mais on reviendra demain !

   L’après-midi s’avançait, le linge mouillé, était chargé dans la brouette. On attendait l’arrivée du mari ou du fils pour la remonter à la maison car encore plus lourde que le matin !

   De retour, tout ce linge qui les avait occupées ce lundi, exigeait encore un peu d’énergie ! Selon le temps, il s’alignait sur les fils d’étendage du jardin, d’un grenier ou d’une remise, voire devant la cheminée pour les pièces les plus rebelles au séchage! Le client attendait sa livraison, il fallait faire au plus vite ! 

 

Les étés de sécheresse (dont 1956 entre autres…)

   Avant de clore ce récit, il faut rappeler ces étés particulièrement secs dans les années 50.

  Le ruisseau du Boschet (autrefois Caurel) ne remplissait plus le lavoir…La grande prairie du Pont-Joy, traversée par ce ruisseau coulant du village des Vignes, présentait un trou d’eau qui permettait d’y laver, tant bien que mal !

   Si la chaleur persistait, il fallait choisir une autre direction et recourir au ruisseau de Fondelienne. Ce ruisseau, issu d’une fontaine proche du Bois-Faux, coulait à deux pas de la chapelle. À droite du petit pont, dans une vaste prairie, nos lavandières trouvaient de l’eau claire ! Aux dires des villageois du Bois-Faux, cette fontaine ne tarissait jamais.

  Toutefois, ces déplacements obligés avec linge et matériel, dans des lieux non aménagés, s’ajoutaient à la pénibilité de la journée.   

 

 

 

  Les longues heures agenouillées dans la caisse de bois, courbées sur leur ouvrage dans l’humidité ambiante en toutes saisons, nous rappellent le dur métier de ces valeureuses lavandières.

  Vers le milieu des années 70, le lave-linge les amena doucement à une retraite bien méritée mais qui, hélas, n’en fit pas des centenaires…

  Nous décrivons dans ces lignes, le quotidien des femmes que les aînés de Carentoir ont connu. Dans un passé plus lointain, d’autres les ont précédées, simples ménagères ou lavandières de métier. Leurs conditions de travail, furent sans conteste encore plus rudes.

 

Les lavandières : Agnès Touzé et Félicité Le Coq

M.GB

Avec la participation de Mr Louis Le Coq

   La vidéo ci-dessous a été réalisée le 12 juin 2021 par les infos du Pays Gallo avec la participation de Mr Jouen, Maire de Carentoir, Mr Bayon, conseiller municipal, Mme Boudard, les lavandières : Mme Jouen  et Mme Corduan et un groupe d’élèves de l’école St Stanislas.

  Ci-dessous, le poème « Hommage aux lavandières » lu à la fin de la vidéo.

HOMMAGE AUX LAVANDIÈRES

 

 

  Combien de ces valeureuses femmes, fidèles et dévouées,

  Gagnèrent leur pain durement sous ce toit

  Surmontant courants d’air et rigueur des saisons,

  Quand une eau glacée, s’attaquait à leurs doigts !

 

  Mais été comme hiver, et quel que fût le temps,

  Nos laveuses agenouillées dans la caisse de bois,

  Maniaient en cadence, brosses et battoirs,

  Surveillant le feu, sous la lessiveuse noire.

  Quand l’eau commençait à chanter,

  On y plongeait ce linge si lourdement mouillé !

  Et on pourrait continuer… car la journée de nos bonnes dames, était loin d’être achevée.

 

  Notre rivière Beauché, n’appréciait guère les étés brûlants !

  Le lavoir et ses vannes, asséchés

  Charge à nos lavandières de trouver remplacement !

  Bravement, on chargeait la brouette direction le Pont-Joie

  Ou le ruisseau de Fondelienne, quand l’été 56 les y obligea.

 

  En 61, venue de Siloret, l’eau s’installa au bord de nos éviers

  Puis arrivèrent au nom du progrès, les machines à laver !

  Privées de leur ouvrage, nos fières blanchisseuses,

  Les unes après les autres, désertèrent le lieu !

 

  Esseulé, le lavoir du Pont, ayant traversé,

  En bonne compagnie, de si longues années,

  Laissa tomber ses tuiles, comme des larmes,

  Tout autour de lui…

 

  Dévasté, le lavoir en détresse, remua les consciences !

  Ne devait-on pas plus tard se souvenir du lieu ?

  On appela des mains expertes pour lui rendre jeunesse !

  Quelques semaines de labeur d’une équipe motivée,

  Lui redonnèrent allure, comme à sa première heure ! 

 

 

  Depuis sa renaissance, acceptant sa retraite, il se laisse admirer ! 

  Chaque saison le flatte en fleurissant ses bords. 

  Les promeneurs s’y arrêtent,

  Se ressourçant du charme de ce coin du Bois-Vert

  MGB