La guillotine à carentoir

   Ce 4 prairial de l’an Il (23 mai 1794) en pleine terreur (elle ne cessera officiellement que deux mois plus tard le 9 thermidor (27 juillet) avec l’arrestation et son exécution le lendemain du tyran Robespierre, l’émoi est considérable à Carentoir.

   Sur la place de l’église La guillotine a été amenée de Rennes à grand renfort de publicité. Le lendemain le couperet tranche le cou de Pierre Chevalier, jeune chef chouan de Carentoir.

   Désormais l’ignoble instrument inventé par le Docteur Louis et le mécanicien Schmidt, vulgarisé par le docteur Guillotin prendra dans ce pays le surnom de Perrine Chevalier.

   Ceci en souvenir de Pierre Chevalier qui avait demandé avant de mourir une plume, de l’encre et une chemise blanche, voulant montrer par là que sa conscience était pure, qu’il mourait pour une noble cause. Une complainte célébra sa bravoure.

qui était pierre chevalier ?

   Pierre Chevalier était né en la paroisse du Temple. Il avait épousé Jeanne Tourtal de la paroisse de Tréal. Il exerçait la profession de menuisier et, paraît-il était un fameux chouan. C’était un fort bel homme, aux larges épaules, à la figure douce et martiale.

   Sa capture fut mise au prix de 100 écus. Mais il réussit à échapper à tous les nombreux pièges qu’on lui tendit, jusqu’au jour où traversant un clos dénommé le Clisson, il fut trahi par les jappements joyeux de son petit chien, aboyant de plaisir à la vue de son maître.
   Les gendarmes postés en permanence près de là se précipitant sur les pas du fugitif réussirent à l’arrêter et à s’emparer de lui. Il fut jugé militairement et condamné à mort.
   Le jour de son exécution il refusa le ministère du prêtre assermenté Rubault de La Gacilly. On dit qu’un prêtre fidèle, posté à un endroit convenu d’avance put lui donner l’absolution. Il fut exécuté le 24 mai 1794 sur les 5 heures du soir.

curiosité malsaine

   Dans un faubourg de Carentoir, Bourienne, le jeune Mathurin Hersart, 14 ans, a du vague à l’âme. Il s’ennuie. Mais lorsqu’il apprend qu’une exécution capitale va avoir lieu sur la grande place du bourg, il n’a de cesse de faire partager son enthousiasme à son entourage.

   Et quelle aubaine de pouvoir se distraire gratis ! Il en parle à son voisin, Joseph Garel, qui le dissuade d’aller assister à ce triste spectacle. (Garel restera caché durant trois jours tremblant d’effroi par peur de La guillotine). Rien n’y fait… Il ira malgré cet avertissement. Il sent qu’il a besoin d’émotions fortes. Il sera largement servi !       Son père Jean Hersart ne prend pas parti. Pour avoir acquis la maison de la Marmillière, bien national, il sera fusillé par les chouans de Savigne deux ans après.
   Le gringalet se met en route persuadé d’assister à un beau et touchant spectacle. Bien placé près de l’échafaud, Mathurin ne bronche pas lorsqu’il voit la tête de Pierre Chevalier tomber dans le panier.

   Le bourreau ou un membre du directoire, peut-être un agent national, on ne sait, l’a repéré et a remarqué sa bonne allure. Ce serait une excellente chose, se dit ce personnage, que ce soit un adolescent qui promène au bout d’une pique la tête toute ensanglantée du supplicié : bel exemple pour les jeunes de ce pays qui en ont tant besoin. Il est fort bon de montrer à la population que la jeunesse sait apprécier les bienfaits de la révolution, sauvée de l’obscurantisme prôné par les prêtres !

   Le galopin est donc fermement prié de passer à l’exécution de ce projet. Voici donc notre Mathurin transformé en porteur d’une drôle de bannière, sous l’oeil goguenard de ses copains qui le brocardent en catimini. Le freluquet doit faire le tour de Carentoir exhibant au bout de sa pique la tête du martyr.
   Sinistre mascarade ! Il ne se sent pas très malin dans cette posture. Il en sort tout déboussolé, guéri a jamais des affres de l’ennui. Le récit de sa « prouesse » est parvenu jusqu’à nous.