Après ce dimanche de la communion solennelle à Carentoir, évoquons la « Fête-Dieu » ou « Fête du Saint-Sacrement », le dimanche suivant.
Pour nous, les Carentoriens de plus de 70 ans, la « Fête-Dieu », ses reposoirs et ses routes fleuries, sont, sans aucun doute restés dans les mémoires. Nous y avons tous participé, d’une manière ou d’une autre, dès notre plus jeune âge.
Cueillette de fleurs des champs et jardins.
La cérémonie de ce dimanche nécessitait préparatifs !
Les premiers à s’y impliquer, étaient les enfants des écoles libres.
En quittant la classe le mercredi soir, on savait que demain jeudi (congé à l’époque), on partirait à la recherche de fleurs des champs.
Les hautes digitales (appelées familièrement cotoiyes ou cotoas ) et les marguerites, composaient en grande partie le ramassage. Les branches de buis, étaient aussi les bienvenues. Le lendemain, les cueillettes étaient apportées à l’école ! Les religieuses de Bourrienne, sacrifiaient quelques heures de cours et nous occupaient à l’effeuillage des fleurs et du buis, aux petites feuilles si odorantes.
Les scieries locales, réservaient traditionnellement un bon volume de sciure de bois pour la circonstance. L’emploi de cette dernière, était incontournable lors des « Fête-Dieu . Parfois même, on teintait une partie de cette sciure, pour un meilleur rendu des décors les plus en vue.
Les ménagères conservaient leur marc de café et réservaient également, jusqu’au dimanche, roses, pivoines, lys et arums de leurs jardins.
Mise en place des reposoirs
Ce qui précède, était la première étape des préparatifs de la cérémonie du dimanche !
Arrivait le samedi !
Chaque année, on recourait aux mêmes bonnes volontés masculines pour remettre debout ces estrades de bois, les reposoirs ! Chaque estrade, complétée d’un petit autel, était accessible par un escalier de quelques marches. Le reposoir se devait d’être visible par toute l’assemblée, qui arriverait demain en procession.
L’installation achevée, sous l’œil avisé d’un menuisier du voisinage, le travail des monteurs se prolongeait par la mise en place de quelques jeunes bouleaux, sacrifiés pour la circonstance et fixés à l’arrière de l’estrade ; avec ce décor verdoyant, le reposoir prenait forme !
Le quartier de Bourrienne, accueillait traditionnellement, les reposoirs des « Fête-Dieu ».
On alternait chaque année, entre les deux lieux suivants :
– Le bas de la rue de Fondelienne, face au bar « Le Calypso » d’aujourd’hui.
– Le large trottoir, devant l’étude notariale, rue de Bourrienne.
Quant au bourg :
– Le pignon de l’ex-café Leblanc, sur la place même, était idéalement situé.
– Le grand pré, précédant le pont de l’Hôtellerie.
– La rue de l’Épine, face au boulevard Julien Gicquel.
Certaines années, on s’éloignait du bourg en choisissant :
– Notre calvaire, route de Guer
Quand les estrades de bois devenaient reposoirs…
Arrivait le dimanche matin !
Alors que se déroulait la première messe de 7 heures, il y avait déjà du monde à l’ouvrage, dans les rues et aux abords des reposoirs !
En quelques heures, tout le décorum devait être fin prêt !
Pour les deux reposoirs et les décors attenants, les dames des quartiers concernés, rompues à l’exercice depuis des années et avec l’aide de quelques messieurs, mettaient tout en œuvre, pour y parvenir dans les temps :
– Le plancher de la plate-forme et son escalier, étaient recouverts de tapis.
– Sur le petit autel, nappé de linge fin d’église, crucifix et chandeliers étaient disposés.
– Des vases, garnis de fleurs blanches fraîchement cueillies, complétaient le décor de l’autel et encadraient également chaque marche de l’escalier.
– Parfois, sur l’estrade on disposait un prie-dieu pour l’officiant. Enfin des draps blancs, piqués de fleurs et suspendus à l’arrière de l’autel, donnaient la touche finale au décor.
La préparation de la « Fête-Dieu » demandait encore un dernier effort, ce dimanche matin !
– Face au reposoir, on mettait la dernière main au large décor d’accueil, préalablement dessiné au sol. Restait à le garnir harmonieusement de fleurs, verdure, sciure colorée sans oublier le marc de café qui, incontestablement, venait rehausser l’ensemble de ce tapis éphémère.
Le long des rues on s’affairait aussi !
De bon matin, on avait sorti cette petite brouette de forme conique, au fond astucieusement percé, qui, chargée de sciure et roulée sur le bitume, traçait une parfaite allée centrale sur le chemin de l’église jusqu’aux deux reposoirs. Cette tâche de préparation était généralement confiée à des messieurs du bourg.
Le long des rues que traverserait la procession, les riverains se partageaient la décoration florale du parcours. Les cueillettes des enfants et les fleurs fraîches des jardins, étaient partagées entre les petits groupes
Les photos, jointes à ce récit, nous donnent un aperçu du travail que nécessitait cet évènement paroissial annuel. Des figures géométriques s’alignaient sur le chemin de sciure ! De part en part, on cassait cet alignement pour faire place à des petites rosaces, des cœurs, des croix. Pour sublimer le tout, des feuilles de roseaux encadraient le chemin de fleurs !
On ne s’arrêtait pas aux décors floraux ! Il était aussi d’usage de masquer, autant que possible, les façades des maisons par des draps blancs, piqués de roses.
Au milieu des années 50, les riverains de Bourrienne, optèrent pour des poteaux de bois, entre lesquels étaient suspendues des guirlandes de lierre, ponctuées de fleurs.
À cette époque, les saisons n’étaient pas aussi fantaisistes que de nos jours. Les « Fête-Dieu » se déroulaient généralement sous le soleil mais parfois, les vents printaniers pouvaient être redoutables pour nos tapis de fleurs. Les voitures, certes moins nombreuses en ces années 50-60, ne l’étaient pas moins et les chauffeurs indélicats, étaient fermement invités à patienter ou à rebrousser chemin !
Pour nos bonnes gens à l’ouvrage, la matinée s’avançait ! La seconde messe commencée à 9 heures, s’achevait !
Puis résonnaient les cloches de l’église Saint Marcoul !
Vers 10h30, le magnifique carillon des jours de fête, appelait les paroissiens à rejoindre l’église pour cette grand’messe qui se prolongerait par la grande procession !
À la fin de cette troisième messe du dimanche matin, toute l’assistance se mettait en marche au sortir de l’église. À nouveau, le grand carillon du clocher retentissait annonçant l’arrivée du Saint-Sacrement.
Reposoirs, chemins fleuris, tout était prêt pour accueillir dignement et dans les règles, cette cérémonie. Sur place, le long des rues et aux abords des reposoirs, nos décorateurs dévoués, se tenaient discrètement à l’écart. Les dames ôtaient leurs tabliers de travail qui avaient protégé leur « tenue du dimanche ». Les messieurs se découvraient et se tenaient casquettes à la main, en attendant le pieux cortège.
Quand arrivait la procession…
(précisons que seul, l’officiant portant le « Saint-Sacrement », empruntait le chemin fleuri)
De ce fait, venaient sur deux rangs, de chaque côté des rues :
– Deux croix ouvraient la procession. Les porteurs désignés étaient généralement, deux hommes jeunes, pour chaque croix se relayant tout au long du parcours.
– Les filles et les garçons des écoles encadrés par leurs enseignants.
– Les communiants et communiantes de l’année et un temps fut, des deux années précédentes (appelées 2ème et 3ème communions)
– La fanfare de La Fondelienne, suivie de la chorale des jeunes filles.
– Les porteurs de nos belles bannières dont celle de Saint Marcoul .
– Les angelots, ces petits enfants tout de blanc vêtus et portant leur corbeille emplie de pétales de roses.
– Les choristes, servants de messe en noir et les jeunes enfants de chœur en rouge, chaque tenue rehaussée d’une chasuble de dentelle blanche
– Les vicaires en surplis blanc, au milieu des rangs, dirigeaient les cantiques.
– Porté par 4 hommes, le dais, cette sorte de baldaquin, décoré de précieuse étoffe brochée et tendue sur sa structure de bois, abritait notre Curé-Doyen, pendant la procession. Revêtu de sa magnifique chape, il portait sous ce dais, le scintillant ostensoir et son hostie sacrée, le « Saint Sacrement ».
– Monsieur le Maire, ses adjoints et autres notables de la commune, suivaient le dais.
– Le cortège des hommes, têtes nues, chapeaux ou casquettes à la main.
– Le cortège des femmes, d’où émergeaient, coiffes blanches et chapeaux noirs des plus âgées, chapeaux clairs des jeunes femmes et foulards multicolores, noués sous le cou, des plus jeunes !
Lentement, la procession arrivait, tout en chantant les cantiques propres à la « Fête Dieu ».
(Au passage rappelons-nous les plus traditionnels : « Parle, commande, règne » « Je suis chrétien, voilà ma gloire » « Loué soit à tout instant » en attendant d’entonner le célèbre « Tantum Ergo » au moment du salut du « Saint Sacrement »).
À l’arrivée devant le reposoir, les deux porteurs à l’avant du dais, ôtaient la barre de bois qui en fermait l’avant. Après avoir emprunté les quelques marches, notre prêtre déposait l’ostensoir sur l’autel, l’encensait généreusement puis le présentait à l’assistance dans un geste de bénédiction. Les angelots attendaient le bruit sec du claquoir, pour plonger leurs petites mains dans les corbeilles et jeter vers ce bel ostensoir, leurs pétales de rose.
Venait le moment d’adoration appelé « Salut » de ce « Saint-Sacrement ». On priait, certains s’agenouillaient ! La clochette des choristes rythmaient parfaitement les moments de la cérémonie. Elle s’achevait avec l’emblématique « Tantum Ergo », que dominaient les puissantes voix masculines !
Puis, entre les mains du prêtre, l’ostensoir et son divin contenu, reprenaient place sous le dais, pour un autre « Salut ».
La procession, dans le même ordre, se remettait en marche vers le second reposoir pour une cérémonie identique à celle que nous venons de décrire.
Retour du « Saint-Sacrement » à l’église
Après ce second arrêt, toujours en chantant les traditionnels cantiques, la procession reprenait cette fois, le chemin de l’église, afin d’accompagner, toujours abrité sous le dais, le «Saint-Sacrement » entre les mains de Monsieur le Doyen comme l’appelaient les Carentoriens.
Le « Saint-Sacrement » retrouvait place sur l’autel et restait exposé, jusqu’aux vêpres de l’après-midi.
L’après messe
Comme chaque dimanche, sortant de l’église, tous regroupés sur le parvis, les messieurs prenaient le temps d’écouter les annonces de la semaine, déclamées haut et fort par le garde champêtre. Sur les escaliers, à droite de notre église et sur les bords de la route, les dames toutes endimanchées, retrouvaient parentes et amies pour échanger les nouvelles. Mais il était temps de faire quelques courses au bourg sans oublier de gratifier les enfants de la petite pièce du dimanche pour les bonbons ou l’incontournable brioche.
Fin de la cérémonie annuelle !
Pendant ce temps, il restait aux mêmes équipes des reposoirs et des rues, à reprendre leurs objets pieux, ôter tapis, prie-dieu, rendre draps du décor et vases à leurs propriétaires. Les fleurs de l’autel et des marches trouvaient vite preneurs car elles avaient reçu encens et bénédiction ! Demain, les monteurs du samedi, se remettraient à l’ouvrage pour le démontage; mais aujourd’hui dimanche, on laissait aux gamins du bourg, le plaisir de s’y amuser !
Une fois de plus, la Fête-Dieu, avait rassemblé les bonnes gens des quartiers dans un même élan convivial, perpétuant ainsi d’antiques traditions. En quelques décennies, ces cérémonies furent peu à peu abandonnées dans les villes et les bourgs. À Carentoir, les dernières, dans les années 80-90, se limitèrent à une procession de l’église à l’entrée du cimetière par cette petite route éloignée de la circulation. Un petit reposoir y était réalisé par les religieuses aidées de quelques paroissiens.
MGB
NB :En 1958 la représentation de la grotte de Lourdes et de la Vierge constituait le reposoir. Une fillette de Carentoir agenouillée faisait figure de la jeune Bernadette
Dans les années 50, la « Fête-Dieu » était renouvelée le dimanche suivant, au cours des vêpres, l’après-midi. Elle s’adressait particulièrement aux paroissiens que le tour de garde dans les fermes, ne leur avait pas permis de participer à la cérémonie du dimanche précédent. En 1958, Sainte Thérèse de Lisieux fut à l’honneur sur un reposoir, rue de Bourrienne, un dimanche après-midi.